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Les rues de Circée étaient pleines d’un tumulte inhabituel. Beyle se faufilait entre les groupes en s’efforçant d’avoir l’air aussi martien que possible. Gena lui avait apporté un costume de mineur martien venu passer quelques jours dans la ville, ce qui lui permettait de conserver son masque pendant sur la poitrine et éventuellement de s’en couvrir le visage. Elle lui avait rasé le crâne à la mode des mineurs. Il espérait que sa démarche ne le trahissait plus. Il n’osait guère ouvrir la bouche de crainte que son accent ne révèle son origine.

La situation était franchement ridicule, se disait-il en cheminant dans les rues de Circée vers la porte qui donnait sur la route de l’astroport. Trois jours après son arrivée sur Mars, il était recherché par la police et il ne pouvait dévoiler son identité sans risquer de briser définitivement sa carrière. Et sans doute de ruiner pour longtemps le projet.

Et maintenant l’agitation régnait dans Circée. Le procès d’Archim commencerait deux heures plus tard. L’Administration Martienne avait partagé le souci d’Archim d’en finir au plus vite. En fait, l’un et l’autre redoutaient manifestement une intervention discrète de la Terre, destinée à résoudre le problème en douceur, alors qu’ils voulaient tous les deux régler définitivement la question en lui donnant le plus d’éclat possible.

Le procès devait être jugé devant le Grand Conseil de Mars hâtivement réuni. C’était une procédure inhabituelle mais légale à laquelle le Conseil avait fait appel devant la gravité de l’accusation. Jon d’Argyre souhaitait obtenir une condamnation définitive et sans appel du grand projet.

Il ne faisait pas de doute pour Beyle qu’il contrôlait au moins un tiers du Grand Conseil. Un autre tiers était opposé par traditionalisme aux projets d’Archim. Le dernier tiers hésiterait peut-être à condamner le climaticien, par sympathie pour ses idées ou encore par crainte de l’influence grandissante de Jon d’Argyre.

Le procès serait public et une bonne partie de la population se dirigeait vers le Palais du Conseil pour profiter du spectacle. De nombreux Martiens étaient même venus d’autres villes ou des déserts. Parmi eux Beyle se sentait relativement en sécurité. Il avait fait l’expérience de l’inefficacité de la police de l’Administration. En sus de la publicité des débats, Archim avait demandé et obtenu que le procès soit télévisé non seulement sur Mars mais encore retransmis sur Terre dans son intégralité. Il y avait peu de chances que le public terrien s’intéresse à une affaire aussi provinciale qui ne mobiliserait que quelques rares cercles politiques. Mais l’accusé avait insisté. Embarrassée, l’Administration avait fait valoir la brièveté des délais pour établir la liaison, mais Archim, s’appuyant sur la Constitution, avait exigé une publicité immédiate et illimitée, ce qui signifiait que tout adulte vivant sur Mars ou sur Terre devait pouvoir prendre connaissance des débats au moment même où ils se déroulaient, sous réserve du délai de transmission, en branchant son poste sur les canaux réservés à la politique.

La requête était inhabituelle comme tout le reste de l’affaire. L’article n’avait été invoqué que deux fois dans l’histoire de Mars. Mais l’Administration ne pouvait refuser cette garantie au climaticien sous peine de voir à brève échéance le verdict du procès cassé par la Cour Suprême de la Terre. Le Résident de la Terre, consulté, s’était montré très ferme sur ce point, Gena lui ayant transmis un message sans équivoque de Beyle.

Dans les rues, les gens parlaient évidemment de l’affaire. Beyle, les écoutant tout en évitant de prendre part aux conversations, fut surpris de découvrir que de nombreuses sympathies allaient à Noroit. Il n’était pas parvenu à recruter beaucoup d’adhérents pour son parti mais ses projets étaient beaucoup moins impopulaires qu’il avait dit le craindre. Au reste, les habitants de Mars paraissaient redouter la puissance montante de Jon d’Argyre. Et s’ils ne croyaient guère aux théories d’Archim, ils trouvaient surprenant qu’un homme soit jeté en prison et jugé pour avoir défendu un rêve fou encore qu’exaltant. Ils n’attachaient pas beaucoup de crédit à l’acte d’accusation qui qualifiait Archim de traître. Dans une ville comme Circée où tout le monde se connaissait plus ou moins, Archim jouissait d’une réelle popularité qui se manifestait maintenant au grand jour.

Les esprits s’échauffaient et des policiers patrouillaient inlassablement à travers la ville sous le prétexte d’empêcher des troubles. Beyle les soupçonnait plutôt de le rechercher. Heureusement pour lui, ils avaient peu l’habitude de cette nouvelle tâche. Et le fait qu’il n’était connu de presque personne jouait en sa faveur. Jon d’Argyre n’avait pas eu l’audace de publier son signalement de crainte d’une réaction de la Terre.

Mais lorsqu’il arriva à proximité de la porte de l’astroport et qu’il se dirigea, noyé dans la foule, vers la demeure du Résident de la Terre, il comprit qu’il n’y trouverait pas d’asile. L’édifice, territoire interdit aux forces martiennes, était discrètement mais efficacement cerné. Jon d’Argyre ne prenait pas de risques.

Il ne restait plus à Beyle qu’une solution. Il se mit en marche vers le Palais du Conseil. On ne l’y attendait certainement pas. Il y serait en sécurité, perdu dans la foule.

Et là, il pourrait mettre le mieux en œuvre la seconde partie de son plan de la dernière chance.